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Journal d'Architecture

N° 39 | Automne 1996 | Jean Tschumi

Edito

Sommaire

Inès Lamunière, Patrick Devanthéry
Revisiter les oeuvres de Jean Tschumi


L'oeuvre brève mais fulgurante de Jean Tschumi porte en elle, avec le recul d'une génération, comme une nonchalante élégance. Une inscription sans faute dans le paysage, une construction impeccable, une étonnante luminosité dans les ciels gris-brume du Léman, une pérennité remarquable des fonctionnalités, enfin, une capacité d'évocation des aspects représentatifs et symboliques des institutions et sièges sociaux qu'elle abrite; tout cela est à la fois propre à Jean Tschumi, à la recherche patiente des modernes de l'après-guerre et, en même temps, étrangement contemporain. Là et ici, l'élégance s'associe au concept d'apesanteur. Elle s'appuie sur un élancement des espaces souvent horizontal, cher aux années cinquante, rendu possible, ou expérimenté, grâce aux performances des matériaux découverts par de nouvelles hypothèse structurelles et constructives. Ici, chez Jean Tschumi ce sont les masses qui prennent leur envol.

Etonnamment, serait-on tenté de dire, les oeuvres de Jean Tschumi en Suisse romande subsistent. A l'occasion de ce dossier, pas de cris d'alarme - on se souviendra de la monographie consacrée par FACES à Marc-Joseph Saugey - mais une redécouverte des oeuvres, dont les bétons aujourd'hui restaurés semblent appartenir au présent. Est-ce là le témoignage d'un consensus que ces dernières années a autorisé? Ou l'oeuvre est-elle déjà devenue histoire autant pour les maîtres de l'ouvrage que pour les autorités et le plus large public? Peut-être est-ce aussi que cette oeuvre sait allier et jouer sur une connivence entre modernité et classicisme; entre matériaux somptueux, polis par la main de l'artisan, et matériaux de l'industrie, fabriqués loin du chantier; entre des solutions techniques «bricolées» et le recours à des technologies ou des statiques sophistiquées. Le mobilier créé par Jean Tschumi pour ses clients pourrait, en soi, faire l'objet d'une étude complète; son travail auprès de Ruhlmann, ses dessins échelle 1:1 pour l'ameublement et les «décors» intérieurs, notamment ceux du paquebot «Normandie», auront marqué son architecture. Ses bâtiments reposent sur des pieds à même le sol. Pilotis d'obédience corbuséenne, mais dont l'espace est entouré de verre et se transforme en grand salon dans la nature et face au lac (Nestlé, OMS, Mutuelle Vaudoise). Concilier la rupture d'échelle entre les grands espaces d'accueil entourés d'un panorama et les cellules de bureau, thème lancinant, trouvent chez Jean Tschumi une multiplicité de réponses engageant la construction et la géométrie dans leur rationalité et leur performance comme confondue dans un art de bâtir dont la réception esthétique ne bouleverse rien, mais exemplifie.

Ici, pas d'avant-garde, mais une formidable architecture avide de performance, qui serait à la recherche d'une parcelle d'intemporel.


© Faces, 1996